Saga de Fayn
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FAYN
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Sam 27 Fév - 15:05

la fille de
serthé

nouvelle à plume d'argent

RESUME GENERAL.

Au Nord de Fayn, où le froid se fait suzerain, grandissent les Enfants de Serthé, peuple de l'eau et du sel. Il est des coutumes, en cette terre, que nul ne peut outrepasser, pas même celles qui guident les âmes à se confondre aux abysses. Oeris, soeur de la glace, observe les remous dans l'espoir de voir se dessiner à la surface le portrait de son frère disparu. Elle redoute, au plus profond d'elle-même, le jour où, à son tour, elle devra accomplir le baptême que tous chantent.

CHAPITRES.

CHAPITRE 1. Alden.
CHAPITRE 2. Moïdo.
CHAPITRE 3. Olden.
CHAPITRE 4. Oeris.
CHAPITRE 5. Jily.
CHAPITRE 6. Ioh.
CHAPITRE 7. Raïk.

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Sam 27 Fév - 16:38

la fille de
serthé

chapitre 1 : alden



Il y avait, en ces terres, quelque chose de majestueux. Était-ce la cape opaline que le paysage revêtait une grande partie de l'année, l'odeur glaciale des pins qui foisonnaient ça et là, ou le bruissement des vaguelettes accostant sur les galets, nul n'aurait pu le dire. Ce que préférait Oeris, sans doute aucun, c'était l'horizon, vertigineux, qui s'étalait sur la mer, comme une peinture strictement délimitée par un trait net. Lorsque ses yeux se perdaient dans l'immensité du ciel, aux dernières lueurs du jour, elle aurait juré voyager au gré des flots vers des contrées inconnues, si fantaisistes qu'elle n'aurait pu les décrire. Elle se surprenait même, parfois, à imaginer des arbres plus hauts que les plus hautes montagnes, de gigantesques pins recouvrant peu à peu le monde jusqu'à l'engloutir de toute part. Oh, elle n'avait pas coutume de rêvasser de telles sottises. D'accoutumée, elle passait le plus clair de son temps à aider son père à la ferme. Un travail qui ne lui convenait guère, bien qu'elle appréciait particulièrement observer les plus jeunes faons danser sur la neige, tentant de tenir sur leurs pattes. En réalité, aucun métier du Bord du Nord ne l'intéressait. Ici, la vie avait le goût du froid, et elle sentait, au plus profond de ses ventricules, que l'un comme l'autre étaient fait d'un feu brûlant.

L'ambition d'Oeris ne semblait pourtant pas héréditaire. Son frère le plus âgé, Alden, n'aspirait pas à davantage que l'héritage de leurs géniteurs. Il avait cependant un goût prononcé pour le soin des bêtes qui vivaient là, si peu nombreuses étaient-elles. Elle le surprenait parfois se lever en pleine nuit pour aller s'occuper des cerfs, et l'observait, par la fenêtre de leur maisonnée, avoir de longues conversations avec eux. Il avait à coeur la vie de ces créatures, plus encore que celle des hommes, si bien qu'il prétextait avoir quelques occupations pressantes à chaque fois que l'une d'entre elles venait à servir de nourriture à leur village. Mais Oeris n'était pas dupe. Elle savait, et fort bien, qu'il filait en douce jusqu'à la lisière de la forêt pour y boire quelques lampées de gnôle et oublier les cris de la pauvre bête. Et elle ne parlera nullement de cette fois où, l'ayant suivi à la dérobée, elle l'avait surpris à étouffer un sanglot dans son épaisse barbe rousse.

Oeris l'avait aimé dès son enfance. Il passait le plus clair de son temps à l'emmener visiter les alentours. Elle se souvenait même le jour où il l'avait perdue, par inadvertance, si bien qu'ils avaient cherché leur chemin dans les bois jusqu'à ce que le soleil soit quasiment couché. Ou encore, ce jour où il l'avait emmené voir les panthères, près des montagnes, et où ils avaient failli se faire dévorer. Pourtant, elle en gardait de merveilleux souvenirs, de ceux qui la faisaient encore sourire, dix ans après. Il n'avait jamais manqué de la serrer dans ses bras à son anniversaire, lui avait même, une fois, ramené une fleur en plein hiver, le visage rougi par le froid, les mains bleues, du gel plein le nez. Il était de ces hommes qui n'avaient nul besoin de prétendre avoir du courage. Il en avait, et c'était tout.

Alden était, en définitive, quelqu'un de bien. Plus encore, il était son frère.

La veille de son baptême, Père et Mère les avaient tous réunis, Alden, Olden et Oeris, près du feu. Ils avaient préparé du rôti de cerf, celui qu'ils ne faisaient presque jamais tant la nourriture était rare. Celui des grandes occasions. Les enfants avaient tout de suite su qu'il se tramait quelque chose. En réalité, Alden et Olden savaient déjà. Seule la plus petite de la fratrie n'avait pas encore été initiée à la tradition. Assise tout près des flammes, elle tendit les mains près des braises pour se réchauffer, quand Père prit la parole.

« Alden, tu effectueras ton baptême demain. »
La petite fille, à peine âgée de dix ans, papillonna des cils et, de ses grands yeux bleus, focalisa toute son attention sur son père.
« Te sens-tu prêt ?
- Qu'est-ce que c'est ?
coupa Oeris de sa voix enfantine, alors même qu'Alden allait répondre.
- Oeris, tu ne dois pas couper la parole, souligna Mère d'un ton aussi froid que le vent qui soufflait dehors, ce soir-là. »
La petite fille se renfrogna, ses énormes bouclettes retombant sur ses yeux.
« Pardon...
- Le baptême, ma chérie, est la tradition la plus importante de notre peuple
, répondit Père, quelques instants plus tard, d'un ton calme. Elle permet de passer de l'adolescence à l'âge adulte et de faire de toi un véritable Serthé. »

Il ne lui expliqua pas davantage, alors que la curiosité l'avait mordue jusqu'aux entrailles. Et bien qu'elle posa d'autres questions, elle n'obtint pas plus de réponses. Et une fois qu'Alden eut été félicité et encouragé, plus personne ne pipa mot jusqu'à l'heure du coucher. Il ne s'agissait pas là d'une quelconque gêne ou de timidité, mais le Peuple Serthé avait pour coutume de ne parler que lorsqu'il était nécessaire. Au-delà de quelques exceptions, ils préservaient le silence comme une union symbiotique avec leur terre, dont la parole était constamment emprisonnée sous d'épaisses couches de neige et de glace. Ainsi, la majorité des villageois communiquait par les gestes, et chacun d'entre eux possédait une signification bien précise, une langue des signes qui perdurait depuis des siècles.

« Alden ? Qu'est-ce que c'est, le baptême ? redemanda encore Oeris, une fois que le repas fut terminé. »
Les enfants avaient alors regagné leur chambrée où ils couchaient, tous les trois, sur des planches de bois recouvertes de multiples fourrures. Au plus près du feu qui crépitait, Alden fixait les flammèches qui fouettaient l'air, crachant leur suie à travers la cheminée. Oeris ne l'avait jamais vu aussi concentré. Elle se demanda même s'il n'était pas triste.
« Tu devrais dormir, lui répondit-il sans même lui jeter un coup d'oeil. »
Soulevant légèrement sa couverture de laine épaisse, la petite fille prit un ton plus autoritaire, bien que maladroit.
« Toi aussi tu ne vas pas répondre à mes questions ? »
Alden demeura silencieux, quelques minutes, temps pour Oeris de grincher et de se recoucher, sourcils froncés d'une frustration enfantine.
« Le baptême est une sorte d'épreuve, en fait. Le visage d'Oeris se détendit, tandis qu'elle se retournait pour l'écouter plus attentivement, presque surexcitée d'enfin en apprendre davantage. Comme... Comme lorsque Centh s'est enfui, l'année dernière, et que nous avons du le poursuivre pour éviter qu'il ne se fasse dévorer. »
L'histoire avait fait le tour du village et mobilisé pas moins de la moitié de celui-ci, pour cette bête gigantesque, qu'ils avaient fini par retrouver éviscérée à quelques lieues.
« Tu vas te faire manger ?!
- Non, bien sûr que non !
Répondit-il en riant. Je dois trouver une Perle de Jade.
- Une Perle de Jade ? »

Oeris en avait déjà vu une, chez l'homme qui confectionnait ses vêtements. Grosse, toute ronde, et d'un blanc éclatant.
« Elles sont fabriquées par des mollusques, au fond de l'eau, mais ils sont de plus en plus rares.
- Et si tu n'en trouves pas ?
- Alors je ne pourrai pas revenir. »

Estomaquée, Oeris se releva promptement pour aller s'asseoir près de son frère. Elle croisa les jambes et se pencha vers lui pour observer ses tâches de rousseur.
« Mais... Pourquoi ?
- Seul un Serthé peut revenir avec une Perle de Jade. Et je ne peux revenir si je ne peux être un Serthé. Tu comprends ?
Elle hocha doucement la tête. Et puis, il y a de gros poissons, dans la Mer de Glace...
- Je suis sûre que tu les vaincras tous !
- Evidemment
, s'exclama-t-il dans un rire. Et je trouverai une Perle de Jade. Ou j'y passerai des mois, s'il le faut. »

Lorsque le jour arriva, le lendemain, Alden avait de grandes cernes violacées sous les yeux, et Oeris comprit qu'il n'avait pas beaucoup dormi. Père les emmena, à l'aurore, sur la plage, où tout le village s'était déjà réuni, et Mère aussi. Trois garçons et une fille participaient également au baptême, ce mois-ci. Tous les regardèrent quitter leurs habits, un par un, pour ne garder, en guise de protection, que leurs sous-vêtements. Personne ne parla. Seul le Grand Prêtre du village leur murmura quelques mots, que la petite fille ne parvint pas à entendre. Après de longues minutes, Alden se tourna vers Père, Mère, Olden et Oeris. Il les regarda, un par un, ses yeux avaient le goût d'adieux. Puis, encore quelques instants plus tard, les cinq adolescents plongèrent dans l'eau glacée pour disparaître. Il y eut quelques remous, à la surface, qu'Oeris fixa avec attention. Et puis, plus rien. Seulement le chant de l'océan, comme une berceuse répétitive.

Oeris attendit son frère pendant près d'une semaine. Tous les jours, elle vint s'asseoir sur l'énorme rocher donnant sur l'océan, là-même où elle venait s'asseoir le soir pour observer l'horizon. Il se serait déjà noyé, s'il n'avait pas hérité de la Bénédiction du Peuple Serthé. Si Oeris ne l'avait jamais expérimentée, on lui avait raconté que, lorsque l'eau venait à les envelopper, il pouvait leur pousser des nageoires et des écailles, comme de véritables poissons, à l'image de leur Divinité. Serthé n'était-il pas représenté par un poisson, après tout ? N'était-ce pas là de toute logique ? Emplie d'un espoir presque utopique, elle imaginait Alden sous la forme d'un poisson géant, tout de bleu et de blanc, voguant au gré des eaux pour trouver la Perle de Jade. Et elle l'enviait, Oeris, de pouvoir nager jusqu'à l'horizon, de voir ce qu'elle ne pouvait pas voir, là, sous la surface. Elle l'enviait si fort !

Au quatorzième jour, l'un des garçons, désormais devenu un homme, sortit de l'eau, une énorme roche d'ivoire entre les doigts. Lorsqu'elle l'entrevit, Oeris sauta de son perchoir, sourire et larmes sur la face, persuadée qu'il s'agissait-là d'une réponse à ses prières. Elle n'avait jamais été aussi heureuse ! Mais ce n'était pas Alden.

Alors, elle l'attendit encore. Si longtemps qu'elle cessa de compter les jours. Si longtemps, qu'elle ignorait si des semaines ou des mois s'étaient écoulés. Si longtemps que ses cheveux vinrent à toucher ses épaules. Mais nul autre ne vint après le garçon. Ni Alden, ni la fille, ni même l'un des autres garçons. Puis, un jour où la neige tombait, son Père vint poser une main sur son épaule. Elle ne le regarda pas, mais elle savait que c'était lui. Il passa quelques minutes, où il observa, lui aussi, le calme de la mer, avant qu'il brise le silence, car il était l'un de ces jours où il y avait exception.

« Il ne reviendra pas, ma chérie... »

Et en effet, Alden ne revint jamais.

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Lun 1 Mar - 10:27

la fille de
serthé

chapitre 2 : moïdo


Personne au village ne parlait plus d'Alden. Si se taire était un mode de vie tout à fait normal, faire mine d'oublier ceux qu'ils avaient perdus demeurait une coutume qu'Oeris ne comprenait pas. Père ne manqua pas de lui expliquer qu'il s'agissait-là du seul moyen d'enterrer la peine et le chagrin. Mais, même si la petite ne disait jamais le nom de son frère, son fantôme demeurait dans son coeur, et son coeur demeurait serré. Elle pleura de nombreuses lunes, dissimulée par les épaisses toisons de son couchage, à observer celles de son aîné, désormais vides et froides, bien que parfaitement rangées. La famille s'était rassemblée, lorsque six mois s'étaient écoulés après sa disparition, autour d'un feu qu'ils avaient allumé et nourri eux-mêmes. Seule la mélodie de la calcination avait brisé le silence. Oeris avait observé les affaires d'Alden disparaître dans les flammes, une à une. Elle avait jeté dans le brasier toutes les figurines que l'aîné avait pour habitude de sculpter lorsqu'il avait le temps. Ce ne fut qu'au bout de la sixième qu'elle avait fini par éclater en sanglots, avant que Mère ne vienne terminer ce qu'elle avait commencé.

Olden ne versa aucune larme. Père non plus. Parfois, elle percevait l'iode noyer les iris de Moïdo, sa mère, mais il séchait sous ses paupières avant de couler sur ses joues. Oeris n'avait jamais vu pleurer Mère. Elle était une femme de Nord, une femme de glace, aussi dure que les gelées les plus profondes, tout près du sol, recouvertes par milles autres étages de neige protectrice. Sèche et dure, elle passait le plus clair de son temps à rectifier le comportement de ses enfants, sans jamais leur offrir une once d'affection. Protection ou simple timidité, Oeris était trop jeune pour entrevoir les nuances de sa mère, elle qui n'attendait, en définitive, que son amour brut.

« M'aimez-vous, Mère ? avait demandé la petite fille, à l'aube de ses huit ans.
- En voilà de grandes interrogations ! Bien sûr que je t'aime, comme j'aime tes frères ! »

Oeris avait conservé ce souvenir précieusement dans la tête, le faisant tourner en pensées, désormais floues, dès qu'elle commençait à douter de l'attachement que pouvait éprouver sa génitrice. Moïdo n'avait jamais plus dit à un mot à ce propos, et n'avait pas coutume d'être expansive, quelle que soit la situation. Et même lorsqu'Alden disparut, et que Père ramena la petite Oeris larmoyante et grelottante, elle ne lui offrit ni consolation, ni tendresse. Seulement un regard dénué de toute émotion, placide et lointain.

Moïdo était l'incarnation-même d'une Serthé. Toute sa vie durant, elle avait accompli son devoir envers son peuple et avait scrupuleusement respecté toutes les traditions. Contrairement à la majorité des femmes de Bord du Nord, elle avait embrassé une toute autre voie que celle que l'on retrouvait habituellement chez elles. Bien qu'elle avait épousé un homme et eut trois enfants, elle avait quitté sa chaumière avant même de les mettre au monde pour travailler. Loin d'eux l'idée de priver les épouses et les mères d'une occupation à plein temps, mais les hommes croyaient dur comme fer qu'elles méritaient, au-delà de l'entretien de leur foyer, du temps à se consacrer à elles-mêmes, comme eux après de longues et lourdes chasses. La plupart d'entre elles cultivaient ces instants par la lecture, la couture, ou toute autre activité manuelle, et considéraient cela comme une bénédiction. Mais pas Moïdo. Incapable de paresser, elle avait à coeur de fournir au peuple des fournitures de qualité, fabriquées de ses mains avec peau, fourrure, et mêmes organes de cerf. Tous en faisaient des louanges, et elle impressionnait tellement par sa motivation et son talent que beaucoup de partis avaient tenté de s'en faire le mari. Et puis, elle était belle, Moïdo, de cette beauté sauvage que l'on ne peut dompter, avec ses cheveux de feu qui contrastaient ardemment avec la taïga. Mais aucun ne sut faire chavirer son coeur davantage que Père.

« Oeris, tu ne devrais pas être là, gronda-t-elle lorsque l'enfant apparut à la porte de son atelier, tandis qu'elle était couverte de sang coagulé. Oeris grimaça.
- Pardonnez-moi !
- Que fais-tu ici ?
Oeris ne parvenait pas à détacher ses yeux de la dépouille monstrueuse qui se trouvait là, pendue au plafond comme un vulgaire sac de grains. Eh bien, parle !
- Puis-je garder ceci ? »

Elle tendit le bras et ouvrit la main. Au milieu de sa paume se trouvait une minuscule sculpture, un faon d'à peine quelques centimètres taillé dans un résineux. Alden l'avait fait lui-même, une nuit où il n'avait pu fermer l'oeil. Il en avait offert un similaire à Oeris, qu'elle avait conservé au bord de sa fenêtre. Moïdo sembla d'abord surprise. Son visage passa ensuite du calme à la tempête. Comme absorbée par un ouragan à pleine vitesse, ses sourcils se froncèrent, sa bouche se tordit et ses yeux s'enflammèrent.
« Où as-tu trouvé ceci ?
- Je l'ai trouvé près de la cheminée, je ne l'avais pas vu avant.
- Ou tu as fait exprès de ne pas le voir, jeune fille !
- Je peux le garder ?
- Le garder ?! »

Moïdo jeta ses gants ensanglantés un à un sur l'établi, et Oeris sut qu'elle n'avait pas posé la bonne question. Rares étaient les jours où Mère se consumait d'une telle colère. Avant, Alden prenait la défense de la petite dernière. Mais il n'était plus là désormais. Elle devrait affronter seule la colère vertigineuse de Moïdo. Celle-ci s'avança vers elle, tous crocs dehors, comme prête à la dévorer, à la désosser, à faire quelques outils avec sa peau. Oeris rentra la tête entre ses épaules, elle crut même un instant pouvoir disparaître. Elle serra entre ses doigts le faon de son frère. Et elle sentit des larmes se pétrir dans ses yeux sans qu'elle ne puisse rien y faire.
« Toutes ses affaires doivent être brûlées, toutes. N'ai-je pas été claire ? Oeris hocha vivement la tête. Donne-le-moi. Mère fourra ses doigts près des siens, mais Oeris ne desserra pas sa poigne. Donne-le-moi ! qu'elle répéta, plus fort encore, tandis que la petite fondait en sanglots. Tu souhaites dormir avec les bêtes, ce soir ?! Petite insolente ! »
Oeris abdiqua sous la menace. Moïdo récupéra la figurine, lui écrasant les doigts au passage, laissant ensuite filer l'enfant apeuré à travers la neige.

Oeris ne mangea ni les céréales, ni les légumes, ni même les graines servies au repas du midi. L'estomac gonflé de rage, elle repoussa violemment son assiette, ce qui lui valut un grognement de Père. Lorsqu'elle quitta la table, elle partit se réfugier à la lisière de la forêt, quelques dizaines de mètres au Sud du village, où elle se laissa choir sur un tronc couché au sol. Entre les boyaux de la forêt de pins, les arbres paraissaient si hauts qu'Oeris ne pouvait en voir les cimes. Elle n'ignorait pas la présence des panthères blanches, des cerfs sauvages ou des meutes de loups. Elle avait même entendu les rumeurs à propos d'une bête géante, monstrueuse, dévorant les hommes comme des cafards. Mais elle n'avait aucune notion du danger, à cet instant précis. Les larmes lui vinrent immédiatement, la douleur insoutenable créant un raz-de-marée incontrôlable, qui effaça toute notion de peur. Elle hurla, à plusieurs reprises, avant de basculer dans un état second. Celui qui nous fait oublier qui l'on est. Celui qui ne traduit que la colère brute, incolore et muette. Elle frappa la terre de ses poings, jusqu'à perdre toute sensation dans les doigts. Expulsant toute sa haine, elle sentit son petit corps devenir fébrile. Elle ne remarqua pas, autour d'elle, la neige devenir liquide. Elle ne vit pas non plus les gouttes s'élever dans les airs, comme une pluie qu'on aurait soudainement stopper. Et enfin, elle ne sentit pas le fracas de leur chute silencieuse contre le sol, lorsqu'elle cessa enfin de tambouriner l'humus.

Le soir-même, Oeris ne rentra pas lorsque la nuit vint à tomber. Debout au bord des galets, elle pleurait encore lorsque Mère vint la chercher. Elle ne dit rien, l'attrapa fermement par le poignet pour la tirer en arrière, tentant de la ramener à l'intérieur. D'ici, seuls les poissons de l'océan pouvaient les entendre. Les villageois, eux, étaient déjà reclus à l'intérieur, évitant soigneusement le vent glacial qui soulevait les poudreuses. Si la lune avait été pleine, elles auraient pu contempler le manteau blanc danser sous leurs yeux. Alden lui avait déjà montré, un jour. Alden la hantait.

« Non ! Je ne veux pas rentrer avec toi ! criait Oeris entre deux hoquets.
- Cesse de faire l'enfant, Oeris ! lui répondait Moïdo.
- Non, non, non ! Tu t'en fiches de Alden ! Tu t'en fiches de moi ! continuait Oeris en se débattant, à l'image des faons qui dansent. Tu ne nous as jamais aimé ! »
Une gifle s'écrasa sur sa joue, écrasant avec elle les sanglots et la rage. Tout sembla s'arrêter. Le vent, les vagues, les larmes et les cris. Il n'y eut plus que le regard assassin d'Oeris. La haine pure, violente, juste au bord de ses iris.
« Je te déteste. »
Pendant un instant, Moïdo demeura comme inerte. Elle lui rappelait ces cadavres de cerf dans l'atelier, complètement vides d'une quelconque vie. Elle relâcha son poignet. Son visage se crispa. Ses yeux s'imbibèrent d'eau, qui finit par jaillir et couler partout sur ses pommettes jusqu'à sa bouche éviscérée par la sécheresse. Oeris ne sut quoi faire, ni même quoi dire. Elle resta plantée là, immobile, le reflet parfait de Mère. Elle ne l'avait jamais vue ainsi.
« J'ai conscience que je n'ai jamais été une très bonne mère, même si je l'ai démesurément souhaité. Je ne suis pas douée pour les preuves d'affection, ni même pour les mots. Mais vous êtes mes enfants. La chair de ma chair. La seule chose que j'ai jamais pu faire, c'est vous aimer. Elle hoqueta violemment. J'imagine que je ne pourrai pas rattraper le temps perdu. J'espère seulement que je parviendrai à me faire pardonner en ramenant ton frère. »
Oeris l'ignorait, mais l'idée avait germé depuis des mois dans sa caboche, devenant une véritable obsession. Si la petite avait mieux observé la plage, lors de ses excursions nocturnes, elle aurait pu distinguer la silhouette hésitante de Moïdo, à quelques pas d'elle, envisageant de plus en plus sérieusement de plonger dans les eaux noires pour retrouver son fils. Sans même une quelconque phrase supplémentaire, et sans même attendre une quelconque réponse, Moïdo se dirigea vers l'océan et s'y laissa tomber. Oeris n'avait pas bougé. En état de choc, elle observa les vagues engloutir Mère sans pouvoir extraire le moindre mot de sa gorge. Au bout de quelques minutes, elle parvint à faire un pas, puis deux, et un son disloqué sortit de sa bouche. Un tremblement lui ébroua tout le corps, qui se mit à trembler.
« Ma... Les frissons lui éclatèrent au coeur. Maman ? Parvint-elle à murmurer. Maman ?! Cria-t-elle, la détresse lui déchirant le ventre. Elle ne l'avait jamais appelée ainsi.  »
Le cri se heurta à l'épais rideau des flots, et ceux qui vinrent ensuite s'y heurtèrent également. Mais il n'y eut plus, autour d'elle, que l'effroyable silence d'une seconde perte.
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